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La conquête de l'Algérie par la France débuta en 1830 avec la prise d'Alger et se termine en 1847 avec la capitulation de l'émir Abd-el-Kader. Mais la France eut du mal à établir en Algérie une véritable colonie de peuplement du fait du manque de colons français. Ainsi en 1954 lors du début de la guerre d'indépendance de l'Algérie, 90% de la population en Algérie est d'origine arabe. Cette guerre débuta vraiment dans la nuit du 30 octobre au 1er novembre 1954 durant laquelle des nationalistes algériens organisèrent plusieurs dizaines d'attentats. On parle de « Toussaint sanglante ». L'Etat français réagit rapidement en envoyant les troupes revenant tout juste d'Indochine directement en Algérie. Mais face au manque d'effet des actions de l'Etat, un sentiment de lassitude s'installe chez les français et De Gaulle est appelé au pouvoir en 1958. Mais, comme dans chaque guerre, l'opinion publique s’avère importante. Ainsi, l'Etat a utilisé tous les moyens pour maintenir un soutien du peuple. L’opinion publique se définit ainsi comme les convictions que le peuple possède par rapport à un événement, une situation, une personne.

Ainsi nous nous demandons si les médias ont eu une influence sur l'opinion publique durant la guerre d'Algérie.

Pour répondre à cela, nous allons d’abord étudier le contrôle des médias au début de la guerre d’Algérie, puis nous verrons plusieurs cas de médias «résistants» à ce contrôle et enfin nous pourrons nous intéresser aux résultats de ces médias sur l’opinion publique.

La presse influencée et contrôlée par l'Etat

la presse controlée
  • Des médias sous influence dès 1954

Le média le plus important aux débuts de la guerre d’Algérie fut la presse écrite ; ainsi c’est à cette dernière que nous allons nous intéresser en premier. Le Figaro est un journal de presse française fondé en 1826, ce qui fait de lui le plus ancien périodique français.  Pendant la guerre d'Algérie celui-ci était l’une des sources d’informations les plus importantes pour les partisans de droite. L'État n'a donc pas directement manipulé Le Figaro mais il l'a tout de même influencé en lui donnant de l'argent. 

Comme nous pouvons le voir dans l’extrait du Figaro ci-dessous, la guerre en Algérie occupait une des places les plus importantes dans le journal et que de nombreuses pages et de nombreux articles y étaient consacrés.

D’autres médias étaient également (la télévision et la radio surtout) à l’époque en pleine expansion, ainsi l’État créa déjà avant la guerre d’Algérie la RTF (radiotélévision française) qui est une entreprise dirigeant certaines chaînes de radio et la seule et unique chaîne de télévision française pendant la guerre d'Algérie. Cette chaîne (appartenant à l'état) s’octroyait donc le monopole de la télédiffusion. L’État s'en est servi afin de présenter les  évènements en Algérie sous un jour qui lui était favorable.

Ainsi lorsque l’on recherche des extraits vidéos du journal télévisé de l’époque, la quasi intégralité de ces derniers présente une situation calme, sans violence ni évènements traumatisants. Ci-contre un extrait type d’un journal d’informations sur la guerre en Algérie. La population gardait ainsi une bonne image de la guerre puisque qu'elle ne connaissait aucun réel évènement de cette guerre on peut alors dire que l’Etat s'est servi de la RTF pour couvrir les autres médias qui eux auraient pu dire toute la vérité sur la guerre.

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  • L'emprise de De Gaulle à partir de 1958

La RTF avait en  charge l'unique chaîne de télévision et celle-ci était contrôlée par le ministre de l'information, elle n'avait aucune liberté. La chaîne reste donc sous le contrôle de l'Etat. De Gaulle profite de ses pouvoirs afin de se servir de  ce monopole de l'information radio-télévisée, notamment au travers d'allocutions télévisées.

Le 27 juin 1958, De Gaulle donne lieu à sa première allocution télévisée ; durant celle-ci il traite de politique intérieure comme l'inflation et d'autres problèmes économiques. Évidemment il dédie la majeure partie de son discours à la guerre d'Algérie, il annonce au Français que les Algériens vont avoir le droit de s'exprimer librement notamment lors d'un référendum. Plus simplement, De Gaulle tente de rassurer les Français ainsi que les Algériens ; certaines phrases nous le montrent : "l'année 1958 ouvre la route de l'espoir". Il parle même de confiance nationale. C'est aussi lors de cette allocution que le général prononcera deux phrases devenues très célèbres: "Françaises, Français, aidez-moi !" ou encore "Il faisait bien sombre hier. Mais ce soir il y a de la lumière." Cette dernière phrase qui est aussi la dernière de son discours est une phrase très représentative de ce que voulait faire le général De Gaulle dans son discours, à savoir rassurer les Français, leur redonner espoir et les rassurer. 

Durant la même année il donnera lieu à deux autres discours radio-télévisés tous deux traitant des mêmes sujets: climat politique, économique, problèmes en Algérie, ainsi que des précisions sur le référendum du 28 septembre.

L'année suivante il ne donnera lieu qu'à seulement deux allocutions celles-ci présagent des actions futures mais sont très ambigües. D’une certaine façon, De Gaulle utilise aussi les médias pour faire évoluer l’opinion publique afin que les français acceptent progressivement le principe de l’autodétermination de l’Algérie.

En Algérie, le média principal est Radio Alger qui fut un temps  sous le contrôle du comité de salut public (groupe de personnes soutenant De Gaulle). Cette radio est le fer de lance de la propagande des partisans du nationalisme français en Algérie.

 

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Des médias plus indépendants

Des médias plus indépendants
  • Fer de lance de la dénonciation

Mais tous les médias n’étaient pas contrôlés par l’État, d’abord peu nombreux, ils furent ensuite quelques-uns à prendre par la suite la décision de partager la réalité sur les évènements en Algérie.

Du côté de la presse écrite, plusieurs journaux se sont distingués ; le plus important étant probablement France Observateur qui fut l’un des premiers à écrire un article dénonçant la torture en Algérie :

"Les faits dont je suis amené à parler aujourd'hui sont d'une exceptionnelle gravité. […] A Paris, sous l'Occupation, la Gestapo possédait, outre la rue des Saussaies, et quelques autres immeubles, une série de bâtiments situés avenue Foch. Les musulmans d'Algérie ne connaissent pas "l'avenue Foch"; ils connaissent tous un autre immeuble, dont la réputation est pour eux la même : la villa Mahieddine, où officie la police des renseignements généraux d'Algérie.

"Cette réputation est-elle surfaite ? En toute sincérité, je ne le crois pas. […] La presque totalité des accusés [d'un procès en cours] a déposé devant le procureur général des plaintes circonstanciées concernant diverses tortures, et ceux en liberté provisoire que j'ai pu interroger fournissent des précisions nombreuses sur les tortures dont ils ont été l'objet ; leur description est convaincante pour un homme connaissant l'atmosphère des locaux de la Gestapo ; il y a des détails qu'il faut avoir vus soi-même. […] Il y a la mâchoire fracassée d'un des inculpés. […] Il y a les brûlures d'électrode relevées sur les mains d'un accusé, et il y a surtout les plaintes déposées par tous, ou presque. […]

Tous se plaignent des séquestrations arbitraires, qui ne peuvent être niées ; tous parlent de coups violents sur tout le corps, presque tous affirment avoir été soumis au supplice de la baignoire, certains parlent de tortures électriques et de pendaison ; plusieurs relatent un procédé qui semble nouveau : la bouteille. Voici par exemple un extrait de la plainte de Khiter Mohamed, qui resta dix-sept jours avant d'être remis au juge : "Les deux pieds et les deux poings liés, on me passa un manche de pioche simultanément sous les genoux et la face antérieure des deux coudes. Ensuite on m'a fait asseoir sur une bouteille, le goulot de cette dernière me rentrant dans l'anus pendant que les inspecteurs [...] appuyaient de toutes leurs forces sur mes épaules."

En lisant cela on remarque un élément d’autant plus choquant : la comparaison entre la Gestapo nazie et l’armée française en Algérie. Cette comparaison était bien plus choquante à l’époque du fait de la proximité temporelle des évènements de la seconde guerre mondiale.

Claude Bourdet écrit par la suite dans Le Monde un article qu’il nomme de manière provocante « Votre Gestapo d’Algérie » dans lequel il choque encore plus en expliquant de manière plus détaillée les tortures pratiquées en Algérie :

« Le supplice de la baignoire, le gonflage à l'eau par l'anus, le courant électrique sur les muqueuses, les aisselles ou la colonne vertébrale, sont les procédés préférés, car "bien appliqués" ils ne laissent pas de traces visibles. Le supplice de la faim est également constant. Mais l'empalement sur une bouteille ou un bâton, les coups de poing, de pied, de nerf de bœuf ne sont pas non plus épargnés. Tout ceci explique que les tortionnaires ne remettent les prisonniers au juge que cinq à dix jours après leur arrestation ... Une fois que les Gestapistes ont dicté et fait signer à leurs victimes à demi-mortes "l'aveu" qu'il leur plaît d'attribuer, le reste du séjour à la police sert à remettre le prisonnier en état, au besoin à le soigner (mais oui!) afin qu'il soit présentable lorsqu'on le mène au juge... »

Claude Bourdet (premier portrait) expliqua aussi par la suite les raisons qui le poussèrent à écrire la réalité : "Quant à nous, nous aurons fait ce qui dépendait de nous pour que personne ne puisse plus dire "je ne savais pas"." (13 janvier 1955, Frane Observateur)

D’autres journaux se sont aussi appliqués à dénoncer les actes en Algérie tels que L’Humanité ou L’Express. Certains tels que Combat cherchaient plus à discréditer le général De Gaulle et à considérer l’Algérie indépendante comme une voie impossible.

Faisant face à la RTF est ensuite arrivée Europe n°1 qui s’est montrée comme étant une des premières radios à dénoncer les actes de l’État français en Algérie.

D’autres personnes telles que Henri Alleg (deuxième portrait) dénoncèrent la guerre d’Algérie non pas par les médias, mais par l’écriture d’une œuvre intégrale telle que La Question (12 février 1958) qui reste aujourd’hui probablement l’ouvrage le plus important portant sur la dénonciation des évènements ayant eu lieu en Algérie.

Mais au-delà des paroles, ce sont les photos qui choquaient. La plupart ne furent jamais publiées, et bien que nous en ayons trouvé un certain nombre, nous nous refusons de les intégrer à ce dossier de par leur caractère violent, cruel et on pourrait même parler de barbarie. (néanmoins ci-contre voici un exemple partiellement censuré par nous-même de France Observateur publiant des photos de tortures)

Claude

Bourdet

Henri

Alleg

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  • Censurée par l'Etat

La censure fut mise en place dès 1954 et prit rapidement de grandes proportions puisque presque aucun média non favorable à l’État fut rapidement censuré voire même saisi. Ce fut le cas de France Observateur, qui, après une courte période de censure fut saisi afin d’empêcher toute autre publication. L’Humanité fut également victime de la censure, mais ce journal dut de plus faire face à de nombreux procès. Ci-contre une photo montrant ce à quoi un journal pouvait ressembler après la censure. 

La censure était néanmoins exercée plus en finesse ; ainsi certains articles ne voyaient que le mot « torture » être censuré.

Mais ce qu’il faut retenir avant tout c’est que la censure ne s’appliquait pas qu’au sein de la France métropolitaine mais aussi à l’extérieur. Ainsi l’Alger Républicain, un quotidien algérien fut censuré dès le début du conflit. Europe n°1 bien qu’étant une radio privée et étant émise à l’extérieur de la France fut également censurée. 

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L'influence de la presse

L'influence de la presse sur l'évolution de l'opinion publique

 

  • La population en faveur de l'Etat au commencement

Les Français, au commencement, étaient nombreux à être en faveur d'une Algérie française à tel point que parler d'une Algérie indépendante était quelque chose de tabou. Pour les Français métropolitains l'Algérie est un symbole de la puissance nationale. L'Algérie constitue également un bon moyen de redressement de l'économie avec une main d'œuvre peu chère.

Les Français vivant en terre algérienne sont du même avis que les métropolitains, ils sont souvent très attachés à l'Algérie car ils y vivent depuis très longtemps et ils ont la conviction de l’avoir mise en valeur

La population musulmane forte de neuf millions d'habitants est réduite à des conditions de vie difficiles. Leur niveau de vie est inférieur à celui des européens et ils espèrent donc obtenir de meilleures conditions de vie de par l’obtention de leur indépendance.

Certains Algériens sont eux très insatisfaits de la présence européenne et le nationalisme algérien est de plus en plus présent. 

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  • La dénonciation de la torture, facteur du changement de l'opinion

Le contrôle des médias par le général et tous les efforts employés par l'Etat pour manipuler l'opinion publique ont été vains puisque des médias libres se sont chargés de mettre au courant les Français notamment au sujet de la torture. Dans les années 1960 l'opinion des français n'est plus du tout la même et cela se confirme lors d'un référendum mené en 1961 où les français sont à 75% d'accord avec l'autodétermination des populations algériennes. La torture constitue le premier facteur du changement d'opinion des Français, elle était belle et bien interdite mais couramment pratiquée. De plus la guerre s'éternisait et les Français perdent peu à peu confiance en De Gaulle, il avait promis de garder l'Algérie coûte que coûte mais il ne le fait visiblement pas. La longue durée du conflit créa aussi de lourds problèmes économiques, ainsi des affiches telles que celle-ci-contre apparaissent de plus en plus. Le changement d'opinion est aussi dû au fait que le niveau de tension sur la colonie n'a pas été constant ; au début on parlait d' « évènements d'Algérie » bien qu'assez graves ces problèmes étaient réduits par la plupart des journaux. Il semble que les Français ne prennent réellement conscience de la gravité des évènements qu’après l'appel au cessez le feu de Guy Mollet et  au moment de l’engagement des conscrits en 1956. 

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Nous avons donc au cours de ce dossier vu que l’opinion publique ne fut pas constante au cours du conflit de la guerre d’Algérie. Le début fut ainsi marqué par un certain attachement à l’Algérie française mais celui-ci fut remis en cause par la révélation des actes de tortures et d’une situation économique de plus en plus médiocre. Mais la dénonciation de la torture n’eut de l’effet que grâce à la multiplication du nombre de médias désireux de dévoiler la vérité au peuple. Ainsi les médias ont bel et bien eut une influence sur l’opinion publique ; qui plus est si les médias n’avaient pas d’influence sur l’opinion publique l’État n’aurait pas accordé autant d’importance à la censure et au contrôle des médias. Et comme on pourra le voir quelques années plus tard dans le cadre de la guerre du Vietnam mené par les États-Unis l’opinion publique est un des facteurs les plus importants définissant la réussite d’une guerre.

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